Miroir Miroir [ PV Lyil']

Les deux coudes posés sur la table, encadrant un livre d’histoire qui semblait peu passionnant, la tête reposant dans sa main droite, Eldrid soupira pour la quarante-deuxième fois de la journée. Elle avait passé une horrible matinée.

A peine levée, ou plutôt, réveillée à coup de bec par un hibou qui semblait affamé et n’avait que faire du sommeil, censé être, réparateur de sa maîtresse, du lit elle trébucha en s’empêtrant les pieds dans sa couverture accompagné d’un cri très féminin. Déjà qu’elle était inconfortable, trop légère pour la saison froide mais trop chaude pour les beaux jours et pas terrible non plus entre les deux, elle grattait et des trous d’usure commençaient gentiment à se créer mais elle avait le mérite d’être bon marché. Même si le rapport qualité prix n’était peut-être pas terrible. Faudrait-il songer à la changer ? El regarda la couleur un peu délavée qu’arborait la couverture. D’autres dépenses en perspective.  Nous en étions déjà au troisième quatrième soupir.

Ce fut donc le début d’une longue série de rattrapages pas vraiment contrôlés, de chutes lamentables et d’étalement magistraux. Toutes les pièces du château ont eu le droit à leur gamelle.  Le couloir qui mène à la salle principal a vu un trébuchage causé par un obstacle invisible au commun des mortels. Dans la grande salle, Eldrid a commencé par se cogner le gros orteil  sur un rebord de banc, ce qui l’a amené à sautiller sur place en se tenant le pied touché entre les mains ce qui a conduit, bien évidemment vu son équilibre douteux, à un ramassage pas forcément en douceur sur le sol froid et dur. Cette chute a permis un long débat interne sur deux questions existentielles, « Pourquoi le sol est dur ? »  et  « Pourquoi est-ce que les meubles se jettent sur nos pouces ? ». Perdue dans ses réflexions, El a loupé une marche de l’escalier menant aux bains et a fait toute la descente sur le derrière. C’était à peu près le neuvième soupir.

Arrivée aux bains, source de bonheur, il a fallu que le carrelage soit trempé, chose étonnante dans une salle d’eau, et la fatalité s’est encore abattue sur la pauvre fée qui s’est retrouvée les quatre fers en l’air après avoir essayé vainement de se rattraper à une plante verte. Elle réussit quand même à se laver sans encombre. Mais l’eau était froide.

S’en suivit quelques chutes, pour changer, avant qu’elle n’arrive saine et sauve, presque en un seul morceau, aux cuisines où bien sûr, il n’y avait plus de pain. Et le seul fruit présent avait un air louche. Ou alors c’était le vers qui sortait d’un trou dessus qui avait l’air louche. Le doute subsiste.

Après le trente-et-unième soupir, elle se décida finalement à finir le plat de poisson de la veille. Eldrid détestait avoir le ventre vide et c’était la seule chose qu’il restait. Au moins un bonne nouvelle, cela aurait pu être de la viande.

Chose à noter : L’agneau est de la viande.

El décida finalement de se rendre à la bibliothèque, lieu de calme et de sérénité. Ce qui ne pourrait apporter que du réconfort vu le commencement de cette journée qui s’annonçait palpitante.

Et là voilà donc. Toujours assise sur ce banc en bois posé près de la fenêtre, plus en train d’essayer de compter combien de livres tenaient dans une de ces étagères qui faisaient bien deux fois sa taille ( ce qui n’était pas en soi un exploit extraordinaire ) que lire celui ouvert devant elle.

Son regard dévia lorsqu’elle oublia ce qui venait après sept cent quatre-vingt-dix-neuf pour se diriger vers le couloir où elle vit à sa grande surprise son reflet. En un peu plus grand. Et peut-être habillé plus sobrement. Et un peu plus fin. Et qu’est-ce que faisait un miroir en plein milieu du corridor ?

Elle secoua la tête. Ne cherchant plus à comprendre ce qui pouvait se passer dans ce château.